LITURGIE du DIMANCHE

commentaire sur la Parole

 

Les derniers seront premiers

20septembre 2020 – 25e dimanche du Temps ordinaire
MICHEL DAVID S. osb




Première lecture: Is 55,6-9

Psaume: 144(145), 2-3.8-9.17-18
Le Seigneur est proche de ceux qui l’invoquent.

Deuxième lecture: Ph 1,20c-24.27a

Évangile: Mt 20,1-16


La question que le maître de la parabole pose à ses ouvriers mécontents et médisants retentit aujourd’hui comme une sonnette d’alarme pour chacun de nous: «N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier?» (Mt 20,13). Question assez exigeante en même temps qu’intrigante! Pour chacun de nous, il s’agit de fermer les yeux sur ce qu’est l’expérience de nos frères pour être complètements attentifs à nous-mêmes, au point d’accepter un degré d’ignorance qui, en plus d’être vrai, est même assez utile. Pour chacun de nous, le défi consiste à nous rappeler ce que nous avons «conclu» avec notre Seigneur. C’est seulement à travers cette mémoire que nous pourrons accepter de ne pas savoir – parce que de fait, nous ignorons – l’entente conclue avec les autres.

…La parabole que la liturgie nous présente en ce dimanche n’est pas une proposition de manœuvre économique mais une école de cohabitation. À travers une réalité qui nous touche tous, tel que le rapport de justice entre le travail fait et la récompense reçue, nous sommes amenés à affiner notre sensibilité jusqu’à ratifier nos jugements et accepter notre ignorance sur le vécu des autres. C’est la seule façon d’accorder notre manière de sentir et de juger à la logique du «royaume des cieux» (20,1).

…L’apôtre Paul est pour nous le modèle d’un comportement juste et adéquat lorsqu’il invite à avoir un «un comportement «digne de l’Évangile du Christ» (Ph 1,27). Ainsi l’exemple nous est offert pour vivre avec une attention et concentration absolue non pas sur ce que les autres font ou ne font pas, mais sur ce que l’apôtre sent comme étant fondamental et irremplaçable, devoir de fidélité à vivre non seulement en première personne, mais comme s’il était seul au monde. Avec cette liberté fondamentale, chacun, d’une manière unique et incontestable, sera disposé à tout sans juger personne. Pour cela, Paul dit: «Soit que je vive, soit que je meure, le Christ sera glorifié dans mon corps» et il ajoute magnifiquement: «En effet, pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage» (1,20-21). Être dignes de l’Évangile, voilà ce que nous devons avoir à cœur et cela ne peut qu’être lié au parcours personnel de chacun dont seul le Seigneur est témoin, lui qui connaît la fatigue de quiconque «a enduré le poids du jour et la chaleur» (Mt 20,12), tout comme l’angoisse de celui qui est resté sans travail jusqu’au soir avec une motivation certainement pas banale: «Parce que personne ne nous a embauchés» (20,7).

…Nous pouvons imaginer tout ce que nous voulons sur la capacité au travail et l’esprit d’initiative de ces ouvriers de la toute dernière heure. La parabole nous rappelle qu’ils sont restés sans travailler tout en étant disposés à se mettre au travail. En effet, ils ont accepté même une seule heure de travail et sans négociation comme ce fut le cas pour les ouvriers de la «première heure» qui disent avoir le droit de se lamenter seulement parce qu’ils prétendent pouvoir être le terme de confrontation dans l‘évaluation du maître. Le psaume nous le rappelle bien: «Le Seigneur est juste en toutes ses voies et bon dans toutes ses œuvres» (Ps 144,17). De son côté, le prophète éclaire l’attitude de Dieu qui se soustrait à toute tentative de manipulation: «Car mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins» (Is 55,8). Au cours de cette journée, nous sommes appelés vraiment à mettre un peu en discussion notre façon de penser et de juger, souvent pour se justifier et accuser les autres. N’affinons pas les armes du jugement mais celles de la compréhension qui commence toujours par une juste et humble compréhension de nous-mêmes.

…Le Seigneur nous raconte cette parabole justement pour mettre à nu que nous sommes habitués au mal au point de le voir même là où en réalité, il y a seulement une diversité de situations et d’histoires. Nous ne pouvons pas oublier que notre cœur doit encore être purifié à travers l’amour qui, au contraire, permet à qui aime, de ne pas voir le mal, si ce n’est comme un sérieux incident de parcours, sans pour cela changer la perception profonde des personnes. Là où nous avons la tendance à remarquer les différences de comportement pour signaler des différences encore plus profondes, la Parole de Dieu nous invite à penser en grand et en large. En effet, selon l’Apôtre, la différence se trouve justement dans l’indifférence dont il est témoin en première personne quand il écrit à la communauté de Philippes, aimée et chère. Il n’y a plus de frontières entre la vie présente et la vie future, si le regard est amoureusement fixé dans le Christ Jésus et si l’on surpasse cette différence – et d’une manière tout à fait naturelle – toutes les autres différences. Non seulement les différences qui créent beaucoup d’inconfort mais l’incapacité de les accueillir comme nuances d’un grand mystère dont le seul vrai témoin est le Seigneur. De notre part, nous ne pouvons pas prétendre beaucoup, sinon d’être des témoins mineurs en qualité de compagnons de voyage et de travail, appelés à la complicité empathique et pas à la compétition malveillante.

...Le cœur indiscutable et non syndical de la parabole paraît être justement l’affirmation avec laquelle Dieu lui-même – à travers la Parole et le cœur de Jésus – se manifeste et se comprend: «Je suis bon» (Mt 20,15). La bonté explique le comportement de Dieu et le rend inattaquable par n’importe quel syndicat de nos droits à être traités selon notre justice. Cette justice distributive risque toujours de confondre le mérite et la fatigue avec la grâce d’avoir pu «travailler utilement» (Ph 1,22). Et c’est la bonté qui devrait expliquer notre vie même de disciples, en la transformant en exégèse expérimentée du mystère de Dieu pour les hommes et femmes de notre temps qui croisent notre chemin.

…En effet, si nous récupérons, dans notre travail à la vigne du Seigneur, la joie de la «première heure», nous ne sentirons pas la fatigue comme une malédiction à éviter, mais comme un don et une joie à vivre. Notre attitude et notre réaction manifestent ainsi où et comment nous nous plaçons: en situation de relation avec Dieu, ou bien dans un état de fatigue et de sueur suivant notre première action négative, et de jugement sur Dieu (cf. Gn 3,5)? Le maître pour lequel nous avons la joie de travailler n’est pas méfiant, ni méchant; il est toujours simplement bon.

MICHEL DAVID S.

PRIONS

Seigneur, Jésus, Toi qui connais
les lumières et les ombres de nos cœurs,
nous Te laissons entrer dans le cœur de nos frères.
Nous apprenons à ne pas être des juges rudes
du cheminement d’autrui,
à faire mémoire de ce que nous sommes
et de ce que Tu es pour nous, Seigneur.
Cela peut calmer notre esprit
et peut l’affiner pour que nous sachions
faire des pas décisifs sur la voie du partage
et de la conversion.
Nous t’en prions…